Le millésime 2022 à Bordeaux
Ce millésime a apporté de très grands vins à Bordeaux, vous vous en douterez bien ! Et si l’adjectif « exceptionnel » a souvent tendance à être dégainé façon « Lucky Luke » par nous autres bordelais, il convient de préciser que nous pouvons le compléter de différentes manières ! Exceptionnellement chaud, exceptionnellement stressant… et ce sont effectivement quelques traits particulièrement révélateurs de ce millésime 2022.
Retenir 2022 :
Pour vous aider à le retenir simplement, ce millésime 2022 est un millésime des extrêmes. Et dans ces conditions certains secteurs s’en sont remarquablement bien sortis, proposant des vins à la fois frais et éclatants de vigueur.
A titre personnel ce millésime m’a rappelé que la fraicheur dans un vin pouvait avoir diverses origines. En effet il ne suffisait pas de se fier aux mesures PH présentes dans les fiches techniques. En bouche l’histoire pouvait prendre des voies bien différentes pour arriver à un très beau résultat ! Pour certains la fraicheur s’exprimait dans des tannins à la parfaite maturité, là où chez d’autres un très joli jeu sur les amers frais signait la fin de bouche. N’oublions pas non plus le caractère variétal rafraichissant de certains cépages avec, il faut le souligner, des cabernets (francs et sauvignons) particulièrement resplendissants sur ce millésime !
Primeurs 2022 Bordeaux :
Voici un rapide tour d’horizon de ce que j’ai pu percevoir sur le millésime 2022 en Primeurs à Bordeaux ! Scores et commentaires non libres de droit
La fraicheur de certains secteurs dans le Médoc :
Certains secteurs ressortent particulièrement sur ce millésime ! Ainsi, le secteur du Nord Médoc et Saint-Seurin-de-Cadourne a produit des vins à la belle tension, qui s’illustreront dans le temps, et à prix doux. Citons par exemple Clos Manou (94/100) ou les Châteaux Coufran (92/100) et Verdignan (93/100) sur des styles emblématiques qui créeront à mon sens de très belles surprises dans le temps.
La fraicheur par l’amertume :
Certains ont développé des amers frais dans leurs fins de bouche, comme Château Cos D’Estournel (Saint-Estèphe). Ce sera d’ailleurs le marqueur à privilégier dans le cadre d’une masterclass sur ce domaine, le trait étant particulièrement accentué sur ce millésime (noté 98-99/100).
La fraicheur par les Cabernets :
Autre piste, les cépages ! Et particulièrement les Cabernets. Ceci sans vouloir enterrer le Merlot qui suivant les domaines a produit également de grandes choses. Toutefois, ce millésime est pour moi une ode aux Cabernets dans l’affirmation de leur caractère variétal. De belles notes subtilement herbacées se retrouvaient dans les vins en fin de bouche, rafraichissant et allongeant les longueurs… et ce sans que cela soit perçu comme un défaut de sous-maturité ! Menthe tantôt fraiche, tantôt poivrée, allongeant et rafraichissant les finales, particulièrement celles de Château Montrose (Saint-Estèphe) et Château Ducru Beaucaillou (Saint-Julien) tous deux notés 99/100.
Pauillac grandiose sur 2022 !
Pauillac a particulièrement brillé sur ce millésime, s’offrant avec fraicheur et avec une certaine accessibilité. Un entrain plus difficile à saisir d’ordinaire en Primeurs tellement les vins sont concentrés. Ainsi la vibrance s’intensifie sur le secteur « Pichon », offrant des vins sensationnels et identitaires.
J’ai été particulièrement subjugué par la relance iodée, pleine de vivacité de Château Pichon Baron de Longueville en fin de bouche (99/100). De l’autre côté de la route j’ai été charmé par la prise en bouche tout en volupté de Château Pichon Comtesse (98-99/100).
Que dire de Château Latour (99-100/100) ? Voici un extrait de mon commentaire :
« Le grain des tannins est d’une grande finesse et d’une grande précision. S’il apparait de manière relativement peu intense en première impression, c’est qu’il permet à une dimension sapide de s’exprimer en fin de bouche, offrant vigueur, relief et allongeant particulièrement la finale. Comme par magie leur intensité apparait alors, illuminant toute la fin de bouche à la manière d’un candélabre. 99-100/100 »
En ce qui concerne Lafite Rothschild l’image de la vigne en mode « marathon » exprimée par Eric Kohler, réduisant sa voilure pour se préparer à tenir la distance face à ces longues et intenses périodes solaires, me semblait plus parlante que le titre de « grand-mère Ovni ». Mais après tout pourquoi pas ? J’y trouvais d’ailleurs une concordance dans l’image que me renvoi souvent Lafite : un ciel étoilé à l’image de cet univers dense, sombre, très concentré en fruits noirs, et dont les tanins illuminent l’ensemble de leur fraicheur et précision. Quelle longueur sur ce 2022 ! (99-100/100)
Tanins toujours, ceux de Mouton Rothschild pourraient bien vous subjuguer… (99-100/100).
A quelques pas de là Saint-Julien…
L’appellation Saint-Julien performe cette année encore, affirmant son identité, aussi élégante que charmeuse, et dont les domaines en traduisent de subtiles déclinaisons. Sur ce millésime Château Léoville Las Cases sera pour moi le plus grand de tous, d’une énergie florale aussi élégante qu’envoutante. C’est d’ailleurs pour moi LE vin du millésime 2022 ! (Noté bien évidemment 100/100).
Je vous partage ainsi mon récit de dégustation :
(Avril 2023 en primeurs) 83,5% Cabernet Sauvignon 10,5% Cabernet Franc 6% Merlot. Le jasmin, la rose et l’iris vous feront rentrer immédiatement dans l’univers de Léoville Las Cases et du jardin de Saint-Julien. Le touché de bouche est tout en délicatesse, soyeux, avec une matière tannique précise, superbement relevée, et d’une très grande fraicheur. Ils sont taillés pour se distinguer de manière somptueuse avec le temps. Regain sapide, iodé en fin de bouche qui marque le vin d’un équilibre parfait, prêt à traverser les âges. Somptueux millésime !
Margaux…mais aussi Moulis !
A noter que de très belles réussites apparaissent sur les communales trop souvent oubliées de Moulis et Listrac avec un magnifique millésime pour Château Poujeaux (95/100), Château Lestage (94-95/100), Château Maucaillou (93/100) Château Fourcas Dupré (93/100) et Château Fourcas Hosten (93+/100).
Sur Margaux la fraicheur des tannins exprimait d’autres réussites, et sur ce sujet Château Brane Cantenac est peut-être le plus bel exemple (98/100). Non loin de là Château d’Issan (97-98/100) révèle quant à lui une identité propre. Merci à cette superbe parcelle de vieux Malbecs ! Château Margaux s’offre avec grande précision, fraicheur et finalement élégance (99/100). Tiré à quatre épingles ou plutôt trois… puisqu’il n’ y a pas de Petit Verdot dans l’assemblage, chose plutôt rare. Quant à Château Palmer, c’est un autre coup de cœur, sur une matière langoureuse qui vous fera assurément succomber à son charme :
« Avril 2023 en primeurs) 51% Cabernet Sauvignon 45% Merlot 4% Petit Verdot. Profondeur extrême au nez qui emporte les sens. Un souffle de vent frais dans une atmosphère chaude, des fruits, des épices, du floral…tout y est. La bouche semble légère mais cela c’est avant qu’une magnifique densité vienne prendre le milieu de bouche. Sublime texture de la matière avec un regain iodé qui n’en finit pas d’évoluer et d’intensifier l’ensemble. Les tannins sont élancés, fiers, élégants, superbement fins. Dès le premier nez, ce vin fut un coup de cœur et son déroulé ne fut que la confirmation : Château Palmer 2022 est grandiose ! 100/100 »
Le secteur de Pessac-Léognan
Sur Pessac-Léognan d’excellents vins ressortent également, bien que l’on aurait aimé par moment vouloir retrouver un peu plus de « pep’s ». Attention à certaines touches « exotiques » un peu trop marquées. Dans le même temps certains s’illustrent sur des amers frais et des maturités des tannins exemplaires.
A ce sujet Château Haut-Bailly (99-100/100) propose dans son 2022 des tannins d’une qualité exceptionnelle ! Ils furent pendant longtemps mon coup de cœur sur le millésime…jusqu’à ce que je découvre ceux de Pétrus.
Château Smith Haut-Lafitte fait ressortir la profondeur de ses vieilles vignes de Sauvignon Blanc tout en jouant sur les amers … Cela fonctionne avec force et volupté, encore plus que sur le millésime 2020, alors j’ai rapidement succombé. Voici mon commentaire :
(Avril 2023 en Primeurs) Nez ultra complexe, profond et frais, délivrant de la noisette fraiche, un trait de citron, de la pêche blanche, de la poire, de la nectarine… La prise en bouche est d’une densité hors-norme, ponctuée par une fraicheur du même calibre, ce qui rend l’ensemble aussi aérien qu’onctueux. Énorme longueur, marquée par un trait sapide incroyable, comme un éclair traversant le palais pour terminer sur un très joli jeu sur les amers, reposant de fraicheur. Un blanc d’exception taillé pour de la très grande garde. 100/100
Parmi les autres domaines s’illustrant, Château Malartic-Lagravière et Château de Rouillac s’offrent avec fraicheur, tant sur les rouges (96/100 et 96/100) que sur les blancs (96-97/100 et 95+/100). Citons aussi Luchey-Halde (92+/100) dont nous ne parlons que trop peu, et qui a su garder une très belle tension, particulièrement sur son vin rouge !
Château Haut-Brion signe un millésime de très grande garde pour son rouge (99/100). Pour son blanc on y trouve une puissance et une fraicheur déconcertante, exprimant parfaitement le millésime (98-99/100). Citons également le blanc de Château Latour-Martillac qui dispose d’une énergie particulièrement entrainante sur ce millésime ! (95+/100)
Sauternes en 2022
Sur Sauternes j’ai eu peur… non pas pour le millésime mais pour l’appellation elle-même ! N’oublions pas les feux dévastateurs que nous avons connu cette année-là. Celui de Landiras notamment. Longtemps incontrôlable, se rapprochant dangereusement du Ciron, de son fragile, et ô combien précieux écosystème. J’ai donc à titre personnel cru le pire. Fort heureusement ce ne fut pas le cas pour les vignes (mais pour les forêts c’est une autre histoire : 30 000 hectares au total sont partis en fumée).
2022 n’est pas pour moi un millésime d’anthologie sur Sauternes dans ce qu’il me fut donné l’occasion de gouter. Toutefois là encore certains domaines et secteurs s’en sont très bien sortis. Barsac toujours plus frais ressort très bien, soulignons aussi le secteur de Bommes avec Château La Tour Blanche (96/100) et Clos Haut-Peyraguey (95/100) sur de très beaux équilibres en termes de concentration et de fraicheur.
Précisons aussi que, bien que fervent défenseur du style classique des Sauternes, il faut reconnaitre que de très beaux vins blancs secs ont été produits dans ce secteur du bordelais. Le Pur Sémillon de Suduiraut notamment (94/100), ou encore la fameuse cuvée Opalie de Château Coutet (95/100).
Direction la rive droite
Sur la Rive droite on peut dire que le calcaire a fait par endroit des miracles… ou des vins exceptionnels si vous préférez !
Les Châteaux Canon (99/100) et Berliquet (97/100) proposent ainsi une fraicheur extraordinaire. Les fruits exprimés sont éclatants sans excès. 2022 est vraiment un millésime de référence pour ces propriétés.
Saluons le travail sur le fruit de Château Fonroque (98-99/100), brillant de pureté, mais aussi Château Trotte Vieille (97-98/100) et Château Croix de Labrie avec une fraicheur des tannins assez incroyable (99/100) !
Sur Saint-Emilion et Pomerol les grands ont fait très grand !
Si le charme était rapidement perceptible pour certains, comme Château Angélus (98-99/100), d’une délicatesse hors-norme sur les tannins (dont il faudra suivre leur évolution dans le temps), cela demandait plus de temps chez d’autres. Ainsi chez Ausone (98-99/100) je passais un long moment à attendre, jusqu’à ce que la magie opère. Un millésime particulièrement indiqué pour de la très longue garde. Même constat chez Cheval Blanc (99-100/100) et Château Pavie (99-100/100).
Si je suis positif sur ces grands noms qui ne font jamais mauvais, déguster d’autres vins sur des secteurs moins réputés vous fera prendre conscience de la difficulté du millésime, avec des fruits séchés un peu trop présents pour certains et/ou un manque de fraicheur évident pour d’autres. Ces vins seront donc à privilégier pour une consommation dans leur jeunesse.
Autres très grandes réussites :
La Conseillante signe avec éclat et raffinement le millésime (99-100/100), Château Trotanoy n’en finit pas de livrer la puissance de ses reliefs (99-100/100). Le Pin émerveille toujours autant avec son extraordinaire tension en fin de bouche (99-100/100). Les pensées de Lafleur sont resplendissantes et plus charmeuses que jamais (98-99/100) et Petit Village monte encore d’un cran en 2022 (98-99/100). Cette propriété devrait d’ailleurs se distinguer dans quelques années, particulièrement avec ses cabernets francs.
Timing des vendanges, le fil gagnant pour Pétrus !
Au niveau des vendanges, comme toujours certains y sont allé plus tôt que d’autres. Sur des secteurs proches on pouvait ainsi découvrir des choix opposés. N’oublions pas ici la différence de comportement des vignes et des sols.
Pétrus choisissait d’attendre… le bon moment ! Je retiendrai sur Pétrus un trait caractéristique pour ce millésime : celui d’une tendresse incroyable de la matière tannique à travers un caractère entrainant, très riche en fruits, mais pas trop, juste sur le fil. Il fallait oser attendre, être précis et très réactif. Sur un terroir comme celui-lui ça paye et donne un vin incroyablement distinctif :
(Mai 2023 en primeurs) Si l’exotisme de quelques zestes d’orange sanguine se retrouvent rapidement au nez, c’est surtout cette incroyable fraicheur qui saisit en premier lieu les sens. Le touché de bouche est soyeux, fin, avec un joli jus exprimant une concentration hors norme et une très belle maturité des fruits. Cerises noires, cassis, framboises, prunes bleues se retrouvent rapidement, avec gourmandise mais aussi pureté. Un trait de vivacité intervient en milieu de bouche et à mesure, une sublime matière tannique se développe. D’une finesse, d’une subtilité et d’une tendresse incroyable, ils prolongent la fin de bouche apportant fraicheur, douceur et relief. Pétrus 2022 offre un vin à l’incroyable velouté et aux tannins envouteurs… surement les plus beaux du millésime à Bordeaux ! 100/100
Pour finir
Si je n’ai pas beaucoup dégusté certaines appellations (par un manque de temps et non d’intérêt) je tenais à saluer l’appellation Fronsac dont les quelques vins goutés ont rapidement fait ressortir la grandeur de l’appellation ! Bravo Château Dalem (94-95/100) et Château La Dauphine (94-95/100) !
Je tenais à remercier toutes les personnes qui ont été de prêt ou de loin en charge de l’organisation de ces Primeurs et à tous les domaines qui ont eu l’amabilité de me recevoir.
Xavier LACOMBE
NB: Mes excuses à toutes les autres réussites du millésime que je n’ai pas pu citer, cela nécessiterait la création d’un roman !
Toutes les commentaires de dégustation sont accessibles dans la Tasting-Zone ! Retrouvez aussi tous les scores des vins dégustés dans cet autre article sur les Scores Primeurs 2022.
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